Fondation
Émile-Nelligan

Allocution de la lauréate du prix Ozias-Leduc 2013

Marie-Claude Bouthillier

 

 

 

 

 

JE REGARDE DEHORS PAR LA FENÊTRE
J’appuie des deux mains et du front sur la vitre.
Ainsi, je touche le paysage,
Je touche ce que je vois,
Ce que je vois donne l’équilibre
À tout mon être qui s’y appuie.
Je suis énorme contre ce dehors
Opposé à la poussée de tout mon corps ;
Ma main, elle seule, cache trois maisons.
Je suis énorme,
Énorme…
Monstrueusement énorme,
Tout mon être appuyé au dehors solidarisé.
Jean Aubert Loranger en 1920.

Je garde ce poème sur mon mur d’atelier depuis 20 ans. Ce poème qui décrit la rencontre du regard, du corps et du paysage sur la vitre de la fenêtre, pointe aussi, il me semble, vers l’effet de la peinture qui ramène sur l’unique plan de la toile l’ensemble de ce qui y est représenté. Loranger a peut-être découvert ce «dehors solidarisé» en regardant un tableau d’Ozias Leduc ? J’aime à l’imaginer. Après tout, ils étaient contemporains et fréquentaient le même cercle d’artistes. En tout cas, c’est ce poème qui m’a fait comprendre que ce qui m’intéressait en peinture c’était la nature même de l’interface : le support textile du tableau, l’écran, la toile.

Mes dernières productions rassemblent des représentations de drapés, de voiles, de filets et de grilles. Cette recherche du tableau qui se tend et s’étire jusqu’à devenir une totalité englobante (un all over) a abouti depuis 2007 à l’élaboration de ce que j’appelle des environnements picturaux. Celui qui entre dans l’œuvre s’engage physiquement dans le tableau. Je cherche peut-être ainsi à traverser l’écran pour marcher enfin dans le «dehors solidarisé ».

C’est avec beaucoup d’émotion que je reçois le prix Ozias- Leduc, je suis reconnaissante aux membres du jury de s’être penchés sur mon travail et d’avoir décidé qu’il méritait qu’on me remettre ce prix prestigieux. J’en suis remuée. Je suis fière aussi d’entrer dans la succession d’artistes qui ont reçu cet honneur. Je salue la mémoire de M. Gilles Corbeil qui, en créant la Fondation Émile Nelligan, a eu à cœur le soutien aux créateurs et le souci de la transmission dans le temps d’un legs et d’un nom.

Je remercie les commissaires, critiques et historiens de l’art qui, depuis mes débuts, se sont intéressés à ma peinture, l’ont commentée, l’ont incluse dans des expositions, des publications, faisant en sorte qu’elle existe aussi en dehors de mon atelier, dans l’œil et la parole des autres.

Merci au Musée national des beaux-arts du Québec et à Bernard Lamarche, au Musée McCord et à Sarah Watson, à la galerie de l’UQAM, à Louise Déry, Julie Bélisle, ainsi qu’à Thérèse St-Gelais et Nicolas Mavrikakis.

Les centres d’artistes du Québec ont été essentiels au rayonnement de mon travail et en ce sens je leur dois beaucoup, OPTICA, La Centrale/Powerhouse, Sporobole, La Chambre Blanche, Occurrence et particulièrement le Centre CLARK : merci de me permettre d’être solidaire et de participer à un projet collectif. Je salue Raymond Lavoie qui fut mon directeur de Maîtrise à l’UQAM à la fin des années 90, c’est sous son tutorat que mon travail en peinture s’est engagé dans la quête qui m’occupe encore aujourd’hui.

Je veux remercier mes parents qui nous ont, mes sœurs et moi, fait voyager quand nous étions petites. Ce que j’ai vu lors de ces grands voyages s’est imprimé en moi et se manifeste dans ma pratique de mille façons. Merci aussi à Louise Tougas cette artiste qui m’a prise sous son aile quand j’avais 16 ans, avec elle j’ai découvert qu’on pouvait se positionner différemment dans le monde en étant celle qui le regarde et le commente en créant. Faire de l’art est une formidable façon de participer à la vie. Merci à Louise Mercille, pour son amitié, son support, son humour et son regard si aiguisé sur l’art, ses conseils avisés, sa confiance en moi. Finalement, merci à mon tendre amour Yan Giguère, cela fera bientôt 22 ans que nous partageons l’art et la vie, je n’en reviens toujours pas de la chance que j’ai eu de le trouver.

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