Fondation
Émile-Nelligan

Éloge du lauréat du prix Serge-Garant 2003

François Morel

Texte de Bruce Mather, 
président du jury

Déjà il y a 45 ans, j’ai compris que François Morel était un de nos plus grands compositeurs. J’ai beaucoup appris moi-même par l’étude de ses partitions et je me suis fait un devoir de suivre son évolution. Ce n’était pas toujours facile, car depuis 25 ans ses œuvres sont peu jouées à Montréal.

Mais le Québec est plus grand que Montréal et, heureusement, il y a des initiatives fascinantes en dehors de la métropole. Depuis son déménagement à Québec pour assumer son poste de professeur à l’Université Laval en 1979, Morel a produit une suite d’œuvres remarquables, une trentaine jusqu’à présent. Certaines de ses œuvres étaient commandées, mais beaucoup sont le fruit des initiatives du compositeur qui, grâce à un fonds de recherche de l’Université Laval, a produit avec le concours de la maison de disques montréalaise SNE (Société Nouvelle d’Enregistrement) six disques compacts sous le titre » Musique à l’Université Laval «, comprenant surtout des œuvres de Morel lui-même, mais aussi quelques-unes de ses élèves. La plupart des exécutions sont dirigées par Morel lui-même.

Conscient que Morel écrit merveilleusement pour l’orchestre, Charles Dutoit lui a commandé Aux couleurs du Ciel en 1988. Avant de quitter l’OSM, monsieur Dutoit lui a aussi commandé une œuvre pour ses 80 ans. Donc, en 2006 nous aurons droit à une création de Morel par l’OSM.

C’est très bien, mais il y a toujours cinq œuvres importantes pour orchestre de Morel qui n’ont jamais été jouées à Montréal. Évidemment, lorsqu’il s’agit de musique canadienne les orchestres ne donnent que des créations. Ils boudent les œuvres déjà existantes.

Dans les règlements du prix Serge-Garant, on stipule que » seule la valeur de l’ensemble de l’œuvre sera prise en considération… Toute autre considération sera jugée non pertinente et le jury devra n’en tenir aucun compte. «

À mon avis, cela veut dire qu’on ne donne pas le prix Serge-Garant pour les activités du compositeur en tant qu’interprète. On ne donne pas le prix Serge-Garant pour ses activités en tant qu’imprésario. On ne donne pas le prix Serge-Garant pour une langue bien pendue ni pour l’épaisseur de son » curriculum vitae » ni pour le nombre de ses disques vendus.

Malheureusement, il y a des gens pour qui la conception de » valeur artistique » est tout simplement incompréhensible. En constatant ceci j’ai fait l’année dernière une analyse détaillée d’une des grandes œuvres de François Morel, De subitement lointain (1987) pour 18 instruments (surtout à vent et percussions).

Dans mon article, j’ai essayé de décrire les » qualités artistiques » de l’œuvre. Je me permets d’en citer quelques lignes :

» Cette œuvre de François Morel démontre une grande maîtrise sur tous les plans. Dans cette étude, j’ai choisi de mettre en valeur la maîtrise harmonique, une maîtrise rare parmi les compositeurs de notre époque… L’extrême richesse d’invention est d’autant plus remarquable que tout est issu d’un seul mode non transposable. (…) Il s’agit d’un système très simple manié de façon à donner un résultat riche et varié. C’est préférable à ce qu’on voit le plus souvent, c’est-à-dire un système très complexe qui donne un résultat simpliste et monotone. «

Dans la liste de ses œuvres on remarque son attirance pour les instruments à vent, d’œuvres solistes jusqu’à grand ensemble. On peut en compter 22, certains avec des instrumentations assez insolites comme l’Oiseau demain (12 flûtes, clarinette basse et contrebasse et percussions), les Éphémères (4 cors et tuba) et Strophes, Séquences, Mouvements (12 saxophones).

À 77 ans, François Morel demeure une personnalité vivante et colorée. Je m’en voudrais de vous quitter sans raconter au moins une anecdote.

À son arrivée à l’Université Laval, il a constaté que ses élèves en composition ne connaissaient guère les chefs-d’œuvre du 20e siècle. Donc, il leur a donné une liste d’œuvres à analyser. Un des élèves lui a dit » Monsieur Morel, je trouve que ce n’est pas nécessaire de faire de l’analyse, car, pour moi, la création, ça vient d’en dedans, des tripes».  François lui a répondu » Mon petit, c’est très bien, mais que faites-vous si, en dedans, il n’y a rien ? «

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