Fondation
Émile-Nelligan

Éloge du lauréat du prix Ozias-Leduc 2001

Massimo Guerrera

Par Yves Lacasse
Directeur des collections et de la recherche, Musée du Québec et président du jury

Lorsque, le 18 octobre dernier, après plusieurs heures de délibérations, d’échanges aussi passionnés qu’attentifs à l’autre, le jury du Prix Ozias-Leduc 2001 (dont je salue ici les membres : mesdames Francine Lord, Katia Meir et Irene F. Whittome ainsi que messieurs Carl Johnson et Bernard Lamarche) quand donc ce jury, que j’ai eu beaucoup de plaisir à présider, a convenu de remettre à Massimo Guerrera le Prix Ozias-Leduc 2001, nous étions bien conscients que cette décision risquait d’en surprendre plus d’un.Imaginez, le prix triennal en arts visuels de la prestigieuse Fondation Émile Nelligan, prix doté d’une bourse de 25 000 $ et tour à tour décerné à des artistes aussi importants que Roland Poulin (en 1992), Jana Sterbak (en 1995) et Rober Racine (en 1998), que l’on s’apprête à remettre à un jeune blanc-bec qui n’a pas encore trente-cinq ans et qui, admettons-le, fait peur à bien du monde, particulièrement à nos grandes institutions qui, pardonnez-moi l’expression, » ne savent pas trop par quel bout le prendre «, et cela inclut le Musée du Québec.

En choisissant Massimo Guerrera, il est bien clair que les membres du jury du Prix Ozias-Leduc 2001, plutôt que de s’attarder à l’hier, ou encore de tenter d’esquisser un bilan de l’aujourd’hui, ont préféré interroger notre demain, et cela même, d’autant même devrais-je dire, que ce demain s’annonce pour le moins inquiétant. À la suite des événements du 11 septembre, les gens du milieu des arts visuels se sont beaucoup interrogés, un peu partout dans le monde occidental, sur le rôle de l’art et la place de l’artistes dans la société actuelle. Nous sommes plusieurs à soutenir, dans un tel contexte, que la pratique d’un Massimo Guerrera est l’une des plus pertinentes qui trouvent actuellement à se développer au Québec.

» Circulation «, » échange «, » distribution «, voilà les notions simples en apparence, complexes dans la réalité, sur lesquelles repose tout le travail de Massimo Guerrera. C’est ce qu’auront été en mesure de le constater ceux, de plus en plus nombreux, qui se sont intéressés à son travail au cours des dix dernières années, période durant laquelle l’artiste a, tant au Québec qu’à l’étranger, multiplié expositions individuelles, expositions de groupe, actions performatives, scénographie et publications. Pensons au projet Darboral présenté dans sa phase 3 ici même au Musée d’art contemporain de Montréal, le mois dernier, dans le cadre du Festival de nouvelle danse, projet qui dans sa phase 1 s’avérait un des moments forts de la Biennale de Montréal en 2000. Entre les deux événements, il y a eu Porus (Les recombinaisons gourmandes d’un rendez-vous) au Centre des arts actuels Skol au printemps 2001. Ce dernier projet étant lui-même tributaire d’une première exposition, Porus ou 99 études empiriques sur l’étanchéité domestique instable, présentée deux ans plus tôt à la Leonard & Bina Ellen Art Gallery de l’Université Concordia. Il y eut également les Kiosques domestiques, La Cantine et, derrière tout cela, Polyco Inc., une » corporation poétique polymorphe fondée en 1995 …(qui) prend pour principal champ d’activité l’alimentation, la nourriture, qu’elle utilise comme substance permettant l’articulation du corps individuel au corps collectif (et inversement) «. Je cite ici Anne-Marie Ninacs.

En travaillant sur le rapport entre les individus et leur environnement, entre le corps et ce qui l’entoure, Massimo Guerrera n’a pas manqué d’être associé au grand courant dit de » l’esthétique relationnelle » que Nicolas Bourriaud, dans un ouvrage publié en 1998 qui est rapidement devenu » la » référence dans le domaine, définit comme une » théorie esthétique consistant à juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent «. Massimo Guerrera n’a absolument rien contre ce rapprochement à la condition que l’on ne tente pas de l’y enfermer et que l’on veille bien se rappeler que c’est dès le début des années 90, notamment avec son Usine métabolique, qu’il met en place son » esthétique de l’interhumain, de la rencontre, de la proximité, de la résistance au formatage social. «

À lui la parole…

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