Fondation
Émile-Nelligan

Allocution du lauréat du prix Gilles-Corbeil 2017

Michel Tremblay

Lundi 30 octobre 2017

Depuis plus de cinquante ans, j’ai décrit la vie d’une famille québécoise, plus spécifiquement montréalaise, sur une période de cent ans, soit de 1913 à 2016. Au cours des années j’ai tué mes personnages, je les ai ressuscités, je les ai vieillis, je les ai rajeunis, je les ai fait passer du théâtre au roman, du cinéma à la comédie musicale, de la chanson à l’opéra et à la télévision. J’ai souffert avec eux, j’ai connu leurs exaltations et leurs déceptions, ils sont pour moi de chair et de sang, je les connais, je les fréquente, je les aime. Et je voudrais aujourd’hui partager avec eux le grand honneur qui m’échoit. À travers moi, à travers ce que j’ai dit d’eux, ce que je leur ai fait vivre, c’est eux, au fond, que vous fêtez, c’est eux que vous reconnaissez. Les sans grades du Québec. Reconnus et récompensés par un prestigieux prix littéraire. Qui l’eût cru. Alors je me suis permis de les amener avec moi, ils sont plus de trois mille et je suis convaincu et je suis convaincu que vous pouvez les voir. Des ouvriers exaspérés, des femmes courageuses qui ignorent qu’elles le sont, des laissés pour compte, des marginaux, des rêveurs, des travestis exaltés à la recherche d’une identité, des guidounes, des tricoteuses qui n’existent pas mais qui aident deux schizophrènes à survivre, un chat imaginaire, ou pas, une louve, une enragée, une mère aimante qui deviendra le mentor de son fils, des petits bandits sans envergure, des homosexuels qui, pour la première fois dans l’Histoire, dans les années quatre-vingts, ont eu le droit d’élever un enfant, des personnages historiques pour faire vraisemblable, un grand poète dont on a étouffé le génie dans l’œuf, beaucoup d’enfants qui deviendront des adultes bafoués dans une société ignorante et refermée sur elle-même mais qui se réveilleront dans les années soixante et connaîtront enfin la fierté. Ils ne sont pas tous endimanchés parce qu’ils ne peuvent pas tous se le permettre, mais c’est le sourire aux lèvres et la main sur le cœur qu’ils se joignent à moi pour vous lancer un énorme merci !

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